Pedro et TiTi

De drôles de petites chansons inventées comme des comptines. Flatter l’âme de l’enfant, de la femme-enfant. Grâce ou à cause d’Elle, la femme fut baptisée petit animal improbable et unique. Alors on s’adressait à elle au masculin :

– C’est lui le plus beau!

– Tous sur lui !

– Mets donc tes petits souliers.

– Comment peut-on être si joli et si triste à la fois? Flatterie émoliente donc.

Elle dansait, faisait semblant de s’extasier sur « lui » pour rire, en ouvrant de grands yeux ronds.

Elle le prenait souvent dans ses longs bras, le cajolait, prenait une petite voix, toutefois suffisamment grave pour lui faire un peu peur.

« Lui », il aimait bien ça ; les autres, ça les faisait sourire un peu.

Elle ne s’inquiétait jamais vraiment pour « lui » car c’était la seule à ne l’avoir jamais laissé tomber.

L’animal, parfois rebelle, mordait et grognait. Elle savait quand se taire et quand parler. Elle connaissait les ruses pour « le » sortir de sa grotte et lui dire combien « il » pouvait être parfois fatiguant.

« Lui » le bourru, le désabusé, le malin, l’enjôleur narquois avait grand besoin de cette comprenette à deux, de cette valse-musette permanente, mais aussi de leurs moments plus sombres, plus rock. Les subtilités de leur danse, distincte des autres, semblable à un tour de passe-passe souvent réussi et continu.

Amitié-alchimie, avec son lot de cris et de disputes faisant rapidement place à la clameur des réconciliations, le tout bercé d’une ardeur quelque peu exagérée.

A Elle la poigne, à « lui » la molesse.

A Elle de parler, à « lui » d’être taiseux, cafardeux.

Des années durant, le philtre amical s’organisa autour et avec des camarades éclairées, impliquées. Chacune étant concernée par chacune.

Des allées et venues, des ennuis, des accidents aussi parfois. Mais les intimes, les potes, tout ça c’était sacrément complice, alliés dans la chorégraphie, sorte de ballet bienveillant. Une smala étrange déplaçant sa roulotte, une tribu trop fermée, trop étanche.

Certaines s’en échappaient pour aller danser ailleurs, c’était plus sain.

Et la vie, c’est un truc qui continue, pas vrai ? Ça ne s’arrête pas qu’à une seule sorte de boléro.

« Lui », tant il était renfrogné, blessé et un tantinet sauvage, ça commencait à lui faire peur toutes ces brèches qu’il apercevait dans leur roulotte.

Petit à petit, Elle, l’épicentre de l’explosion à venir, l’axe de la confrérie du »sacro-saint », eh bien Elle s’est éloignée du bercail. Peut-être trouvait-elle notre valse un peu désuète.

Elle n’a pas expliqué pourquoi c’était si douloureux de se tordre au point d’essayer de danser ailleurs.

« Lui » n’a pas compris, il n’a pas pu interpréter ces nouveaux pas, saisir l’importance de ce changement de pas.

« Il » est resté à l’arrêt, tandis qu’Elle essayait tant bien que mal de mener une nouvelle farandole ailleurs.

Elle n’a pas précisé — le savait-t-elle ? — la distance réelle qu’elle aurait à prendre pour cette enjambée.

Ni litige, ni marchandage, nous n’étions pas une famille. Ou plutôt de celles dont on doit s’extirper avec douleur, en laissant sur place une ou deux acolytes qui n’ont pas pris soin d’apprendre à danser autrement.

Remouillé, le 21 août 2012.

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